La protection des champignons : un règne oublié

La protection des champignons : un règne oublié

Si, parmi les plantes et les animaux, certaines espèces phares comme l’orchis des marais ou le lynx sont rares et menacées, qu’en est-il des champignons ? Difficile de citer un exemple au même titre que les deux autres règnes… Nous sommes accoutumés à les voir dans nos assiettes et à savourer quelques espèces comestibles sans plus de préoccupations à leur sujet. Pourtant, certains champignons sont en déclin et méritent d’être protégés.

Protéger les champignons : un intérêt tardif

Si l’on retrace un rapide historique des grandes dates de la protection de la nature en France, comme la loi de protection de la nature de 1976, qui est à l’origine des listes d’espèces protégées et du Code de l’environnement, on s’aperçoit que la faune et la flore centralisent l’attention, mais que la fonge (comme d’autres règnes du vivant) a été totalement éclipsée¹. En effet, aucun texte législatif ne confère un statut de protection aux champignons².
Comment expliquer cette absence, quand on sait que les champignons comptent au moins 25 000 espèces en France³, soit presque cinq fois plus que les plantes et quarante fois plus que les oiseaux ?

Les champignons sont des organismes cryptiques, qui apparaissent puis disparaissent : du moins pour ce qui est de leur partie visible, le sporophore (partie reproductrice). Il est donc plus difficile de les étudier en raison de leur fugacité et de leur grande diversité⁴, ce qui explique que les spécialistes et les ouvrages restent peu nombreux, contrairement à d’autres groupes du vivant comme les oiseaux, les mammifères, la flore ou les papillons de jour.

La connaissance des champignons reste cantonnée aux espèces qui présentent un intérêt alimentaire, médicinal, agricole ou utilisées en foresterie⁵,⁶. Dans la plupart des pays, la conservation des champignons suscite peu d’intérêt⁵, même si la situation est en voie d’amélioration depuis ces dernières années⁷.

Une liste rouge nationale des champignons a en effet vu le jour en 2024, et s’intéresse à la situation des bolets, des lactaires et des tricholomes⁸. La liste rouge est un outil qui permet d’évaluer la menace qui pèse sur les organismes vivants à partir de critères scientifiquement établis. En Europe, près de 40 pays disposent aujourd’hui d’une liste rouge des champignons⁶, et une évaluation de la conservation de près de 9 000 espèces en Chine⁵ a donné lieu à la parution d’une liste rouge en 2018⁹.

En France, sur les 319 espèces de bolets, lactaires et tricholomes recensées, la liste rouge met en lumière 12 espèces menacées, comme le bolet rubis (Chalciporus rubinus), le lactaire des saules réticulé (Lactarius salicis-reticulatae) et le tricholome équestre des chênes (Tricholoma chrysophyllum)⁸.

Des piliers de nos écosystèmes

Sans les champignons, qu’adviendrait-il de nos écosystèmes⁶ ? Un grave dysfonctionnement, car les champignons sont des maillons essentiels à la bonne santé des forêts, mais aussi des autres habitats de notre planète⁶. Ils recyclent les nutriments en décomposant le bois mort et la matière organique⁶,¹⁰, régulent les populations et donc les potentiels risques de maladie, structurent les sols, et représentent une source de nourriture pour les autres êtres vivants.

On les utilise aussi pour dépolluer les sols¹¹,¹². Enfin, les champignons sont au cœur des connexions qui régissent le vivant. Ils jouent un rôle clé pour les végétaux⁶, car leur capacité d’exploration dans le sol à partir du mycélium leur permet de capter de l’eau et des minéraux, pour ensuite les restituer à leur hôte végétal, qui leur fournit en échange des sucres grâce à la photosynthèse. Ce sont les fameuses mycorhizes, dont dépendent de nombreuses plantes⁴. Pour se donner une idée de l’envergure des symbioses existantes entre le règne végétal et fongique, il faut savoir que près de 90 % des végétaux entretiennent des relations de type mycorhizien avec les champignons à l’échelle planétaire¹³-¹⁵. Certains champignons sont même capables de produire des substances thérapeutiques pour soigner leur hôte¹⁶.

Cette vie en symbiose est révélatrice du bon état d’un écoSystème et plaide en faveur d’une prise en compte des champignons dans les mesures de protection de la nature². Et les végétaux ne sont pas les seuls à dépendre des champignons, car les animaux, les bactéries et autres micro-organismes en dépendent eux aussi⁴. Protéger les différentes espèces de champignons, c’est protéger les relations du vivant, et donc protéger aussi les autres formes de vie⁵.

Menaces sur les champignons

Les champignons subissent des menaces dont les plus graves sont la destruction et la dégradation de leur habitat⁶,,¹⁷,¹⁸. L’abattage des vieux arbres, les coupes rases, la disparition des forêts converties en terrains agricoles, ou encore la création de stations et de pistes de ski dans les zones de montagne mettent à mal les champignons et la biodiversité en général⁸,¹⁷,¹⁸.
Si la forêt est l’écosystème le plus emblématique des champignons, n’oublions pas les prairies et les zones humides, qui sont aussi le siège de nombreuses interactions entre les champignons et le vivant.

Aujourd’hui, dans le nord de l’Europe, on estime que près de 90 % des prairies ont disparu depuis les années 1930, et elles sont en régression partout dans le monde¹⁹.
Ces prairies abritent tout un cortège de champignons dont certains sont bien connus, comme la lépiote élevée (Macrolepiota procera) ou le rosé des prés (Agaricus campestris). Pour celles épargnées par l’urbanisation, l’abandon du pâturage ou encore la conversion en terres agricoles, l’enrichissement des prairies en nitrates et le recours aux antibiotiques pour traiter les animaux sont problématiques et pourraient impacter la fonge. Pâturage et champignons sont pourtant loin d’être incompatibles, bien au contraire ! Le pâturage extensif est favorable à la diversité des champignons²⁰, et de nombreuses espèces tirent profit de la présence des animaux. Certains fructifient dans les déjections animales, comme le coprin chevelu (Coprinus comatus).

Parmi les autres menaces, les changements climatiques affectent les espèces des milieux frais et humides, notamment via la recrudescence d’épisodes de sécheresse, de tempêtes et d’incendies¹⁷.

Un constat positif : la cueillette familiale, tout comme pour les plantes sauvages, ne fait pas partie des menaces. Elle ne semble pas impacter la diversité et la fructification des champignons, ce qui explique d’ailleurs que beaucoup d’espèces comestibles et récoltées sur un temps long sont toujours répandues et fréquentes²¹.

Présentation de quelques espèces comestibles et menacées

Il existe tout de même des exceptions, et certaines espèces ou groupes de champignons comestibles sont menacés sur une partie de notre territoire, mais aussi à l’étranger :

  • la trompette des morts (Craterellus cornucopioides) est menacée en Franche-Comté²², mais aussi en Macédoine²³ et en Albanie²⁴ ;
  • la chanterelle violette (Gomphus clavatus) est menacée en Alsace²⁵, en Lorraine²⁶, en Franche-Comté²², en Midi-Pyrénées²⁷, mais aussi en Bulgarie²⁸, en Estonie²⁹ et au Monténégro³⁰,³¹.

  • la vesse de loup géante (Calvatia gigantea) est menacée en en région Midi-Pyrénées²⁷ et en Lorraine²⁶
  • le morillon (Morchella semilibera) est menacé en Franche-Comté²², en Lorraine²⁶ mais aussi en Estonie²⁹, au Monténégro³⁰,³¹ et en République-Tchèque³².

  • L’hydne hérisson (Hericium erinaceus), qui fait partie du groupe des pieds-de-mouton, est menacé en Alsace²⁵, en Franche-Comté²², en Lorraine²⁶, en Poitou-Charentes, en Midi-Pyrénées²⁷ et dans de nombreux pays d’Europe. Ce champignon, utilisé en médecine traditionnelle chinoise³³, aurait notamment des propriétés antioxydantes, antimicrobiennes et antivirales³⁴.Parmi le groupe des russules, des lactaires, des amanites et des polypores, on trouve également de nombreuses espèces menacées. À l’inverse, certains groupes de champignons sont plus épargnés, comme celui des coprins, dont aucune espèce n’est menacée à ce jour en France. Par ailleurs, les espèces que nous venons de citer sont potentiellement menacées dans d’autres régions françaises, mais certaines ne disposent pas encore de liste rouge régionale.

Pour une préservation des champignons

C’est en améliorant la connaissance, en identifiant et en recensant les espèces que l’on pourra contribuer à la préservation des champignons⁴, car malgré les efforts des spécialistes en la matière : les mycologues, les données restent encore insuffisantes. Ainsi, pour 25 % des champignons inscrits sur notre liste rouge nationale, il est impossible de dire s’ils sont menacés ou non en l’absence de connaissances (répartition, état des populations, etc.) à leur sujet¹⁷,¹⁸. La progression des connaissances devrait potentiellement conduire au constat suivant : les champignons menacés, qui comptent actuellement 3,8 % des espèces en France⁸, sont plus nombreux qu’il n’y paraît dans l’état actuel des connaissances¹⁷,¹⁸.

Ouvrir l’œil et être attentif à ce règne qui nous échappe, c’est aussi découvrir un monde étrange et fascinant qui suscitera, on l’espère, l’envie d’en savoir plus et d’y faire attention. Car il y a aujourd’hui urgence à sauvegarder les milieux naturels, hauts lieux des interactions entre les différents règnes du vivant, dont nous faisons partie.

FAQ – Questions fréquentes sur la protection des champignons

Pourquoi protéger les champignons est essentiel pour nos écosystèmes ?

Les champignons recyclent les nutriments, structurent les sols et forment des mycorhizes indispensables aux plantes. Protéger les champignons, c’est préserver la biodiversité et la santé des forêts, prairies et zones humides.

Quelles sont les principales menaces sur les champignons en France et en Europe ?

Les champignons sont menacés par la destruction de leur habitat (abattage d’arbres, coupes rases, urbanisation), la conversion agricole et le changement climatique (sécheresse, tempêtes, incendies).

Les champignons comestibles peuvent-ils être menacés ?

Oui. Certaines espèces comestibles comme la trompette des morts ou la chanterelle violette sont menacées dans certaines régions françaises et pays européens.

Comment reconnaître un habitat favorable aux champignons ?

Les champignons prospèrent dans les forêts anciennes, les prairies extensives non fertilisées et les zones humides. Préserver ces habitats protège leur diversité et les interactions écologiques.

Que peut-on faire pour protéger les champignons ?

Observer et recenser les espèces, cueillir de manière raisonnée, préserver les habitats, sensibiliser et soutenir les politiques de protection de la nature.

Pour aller plus loin

Nous vous rappelons que la cueillette sauvage des champignons comporte des risques. Vous pouvez découvrir ici les règles et précautions pour la cueillette. 

Il est indispensable d’être sûr à 100% de vos identifications avant de consommer un champignon, quel qu’il soit.

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Sources

  1. Loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature Disponible sur : https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000684998/.
  2. Sellier, Y., Dupont, V. & Gruhn, G. Prise en compte de la fonge dans les espaces naturels. Biologie, ressources documentaires, inventaires, suivis, analyses des données, bioindication, évaluation des impacts de gestion, intégration dans les plans de gestion (2021).
  3. Eyssartier, G. Qu’est-ce qu’un champignon ? Muséum National d’Histoire Naturelle de Paris. (2023) Disponible sur : https://www.mnhn.fr/fr/qu-est-ce-qu-un-champignon.
  4. Haelewaters, D. et al. The power of citizen science to advance fungal conservation Conserv. Lett. 17, e13013 (2024).
  5. May, T. W. et al. Recognition of the discipline of conservation mycology Conserv. Biol. 33, 733‑736 (2019).
  6. Mueller, G. M. et al. What Do the First 597 Global Fungal Red List Assessments Tell Us about the Threat Status of Fungi? Diversity. 14, 736 (2022).
  7. Gautier, M., Moreau, P.-A., Boury, B. & Richard, F. Unravelling the French National Fungal Database: Geography, Temporality, Taxonomy and Ecology of the Recorded Diversity J. Fungi. 8, 926 (2022).
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